Être dans une forêt, c'est côtoyer le génie à l'état pur

Janine Benyus
Récompensée par le prix « Champions de la Terre » 2009 du PNUE
Le concept de biomimétique de Janine Benyus pousse scientifiques, architectes, designers et ingénieurs à chercher toujours davantage de processus naturels qui pourraient servir à l’humanité. Auteur d’ouvrages sur les sciences naturelles et consultante en innovation, Janine Benyus recherche des solutions durables en imitant les modèles et les processus naturels : des cellules solaires s’inspirent ainsi du fonctionnement des feuilles, les prairies servent de modèle en agriculture et les entreprises sont gérées comme une forêt de séquoias.
Au moment même où vous lisez ces lignes, il y a non loin de vous une forêt qui se livre à son industrieuse activité : de l’eau purifiée est pompée sur plusieurs centaines de mètres de haut ; des milliers de produits chimiques spécialisés sont fabriqués sur commande ; des matériaux composites et résistants s’assemblent tout seuls, en silence et à température corporelle ; des structures étanches, ignifugées et résistantes aux maladies sont sans cesse bâties pour répondre aux conditions locales ; la lumière du soleil est attrapée au lasso pour être transformée ; et dans le sol, les champignons tissent des liens entre les racines, créant un réseau d’échange d’informations et de ressources digne d’Internet.
Au sein de cette vaste usine naissent des millions de vies. Et c’est là que réside toute la différence entre les zones de production de la forêt et les nôtres. Dans une forêt, on peut se promener en toute sécurité avec ses enfants. Pas besoin de casque, de lunettes de protection ni de masque à gaz. Dans une forêt, on s’entend penser, on respire un air pur et on a sous les pieds une terre fertile et parfumée. La forêt fait partie d’un monde durable en constante construction depuis 3,8 milliards d’années, un monde peuplé de millions d’organismes qui sont l’incarnation de la sagesse d’un environnement où tout est à sa place.
Le biomimétisme consiste à s’inspirer de ces organismes et à imiter leur fonctionnement de façon à trouver des solutions durables pour l’homme. L’objectif est de créer des produits, des processus ou des politiques – c’est-à-dire de nouveaux modes de vie – qui soient adaptés à une vie sur terre sur le long terme. J’ai d’abord entendu parler de la biomimétique dans d’obscures publications, mais depuis que j’ai écrit un livre ayant ce terme pour titre, il y a 13 ans, le procédé qui consiste à s’inspirer de la nature s’est largement répandu et les produits qui en découlent emplissent les vitrines et les catalogues dans le monde entier.
Les forêts sont particulièrement riches d’enseignements. Les feuilles des arbres sont à l’origine des cellules solaires intégrées dans les vitres des fenêtres, des peintures autonettoyantes et des voiles solaires qui « éclosent » toutes seules. Les forêts tropicales nous ont permis de conceptualiser l’agriculture sur trois niveaux, nous nous sommes inspirés du gecko pour fabriquer du ruban adhésif et de papillons comme les morphos pour teindre des tissus sans utiliser de pigments toxiques ou pour améliorer nos écrans. Sans oublier les termitières, pourtant peu appréciées, qui ont appris aux architectes à refroidir un bâtiment sans consommer de combustible fossile, ni les araignées qui nous montrent comment fabriquer des fibres sans avoir recours à des températures ou des pressions élevées et sans utiliser de produits chimiques toxiques.
Si chacune de ces technologies est proprement stupéfiante, l’écosystème forestier dans son ensemble fait de véritables miracles, améliorant aussi bien l’habitat que le biome. Les biologistes de l’Association et de l’Institut de la biomimétique (Biomimicry Guild and Biomimicry Institute), situés dans le Montana, s’inspirent de cette leçon pour révolutionner l’urbanisme en Chine, en Inde, au Brésil et aux États-Unis. Nos « normes de performance écologique » poussent les gestionnaires municipaux à égaler sinon à dépasser les services écosystémiques qu’aurait rendus l’écosystème original s’il était encore en place. Combien de litres d’eau sont stockés puis lentement libérés chaque année par l’écosystème ? Combien de mètres cubes d’air sont purifiés et refroidis ? Combien de millimètres de sol sont constitués, de tonnes de carbone, stockées ou de types de biodiversité, nourris ? Autant de références qui doivent servir aux urbanistes, architectes et ingénieurs pour créer une ville « généreuse » dont les bâtiments et les paysages restituent les ressources au biome.
C’est dans ce même esprit de restitution que notre programme « Innover pour protéger » (Innovation for Conservation program) consacre l’argent tiré des produits inspirés de la nature à la protection des forêts et de tout le génie qu’elles abritent. Et pour moi, cette façon concrète d’exprimer son respect, cette gratitude traduite en actes est peut-être bien ce que la biomimétique a inventé de plus beau.
Janine Benyus